Parmi tous les héros de la mythologie grec, Ulysse est celui qui a le mieux vieilli et qui semble le plus proche de nous. Il ne s’illustre pas seulement par sa force et son habilité au combat, mais aussi et surtout par sa ruse et son intelligence. Le mythe est beau : contraint et forcé de quitter sa famille pour participer à la guerre de Troie, on lui doit le cheval éponyme qui permettra la prise de la ville après dix ans de guerre… Alors qu’il peut enfin rentrer chez lui auprès de sa chère Pénélope, il sera poursuivi par la colère de Poséidon. Il erra dix ans dans la méditerranée, bravant des dangers plus terribles les uns que les autres, dans un périple plein de rebondissements qui le mèneront jusqu’au royaume des morts… Arrivant enfin chez lui, il retrouve son palais envahi de prétendants qui veulent forcer sa femme à choisir un nouvel époux alors qu’elle espère et crois toujours en son retour. Il se débarrasse des prétendants et peut enfin vivre parmi les siens le reste de son âge… Le récit épique d’un homme qui se bat pour rentrer chez lui, qui triomphe par l’intelligence et qui enfin après de nombreuses aventures palpitantes retrouve les siens qui n’ont jamais désespéré… Une belle histoire, un des récits fondateurs de la culture occidentale, qui a inspiré et inspirera encore des artistes de tout horizon.
Toutefois, un examen un peu plus attentif du mythe révèle une réalité légèrement… différente. Non seulement son voyage n’est pas si périlleux que ça (il passe plus de temps dans les bras des nymphes que sur son bateau), mais surtout Ulysse y apparaît comme un psychopathe sanguinaire et rancunier, prompt à la vengeance et peu (pas) enclin au pardon. En fait, sa glorification est assez récente (il est dans l’enfer de Dante)… il est temps de lui rendre son vrai visage.
S’il y a une chose qu’on ne peut lui retirer, c’est son amour pour Pénélope. Alors que tous n’ont d’yeux que pour Hélène (la plus belle femme de l’antiquité, très… richement dotée : son époux deviendra le roi de Sparte), au risque de déclencher une guerre, il lui préfère déjà Pénélope. Il obtiendra l’aide de Tyndare pour obtenir sa main contre l’idée du serment qui oblige tous les prétendants d’Hélène à prêter assistance au mari choisi, contre quiconque tenterait de la ravir (serment qui fut à l’origine de la guerre de Troie). Lorsqu’on lui proposera vie et gaudriole éternelle, il refusera pour retrouver sa femme… Lorsqu’il devra, du fait du serment, partir en guerre contre Troie pour récupérer Hélène, il souhaitera rester chez lui et tentera de se faire réformer P4 en simulant la folie. Malheureusement, Palamède évente la supercherie (grand mal lui en coutera) et voici notre héro contraint d’assurer ses obligations. Cette tentative avortée ne l’empêchera pas à son tour de démasquer Achille (le seul qui n’est pas lié par le serment) qui tente lui aussi d’y couper (oui… nombre de héro ne sont pas hyper enthousiastes à l’idée de partir en guerre pour aider Ménélas à récupérer sa femme adultère). Sa résistance à honorer son serment peut se comprendre : après tout, il part pour vingt ans (ce qu’un oracle lui avait prédit). Sur ces vingt ans, il y a les dix ans de la guerre de Troie puis les dix ans que dure l’Odyssée, où il « erre » dans toute la méditerranée en tentant vainement de rentrer chez lui.
Cependant, il faut être honnête. Autant il ne voulait pas y aller, autant une fois là-bas il ne semble pas pressé de revenir. Après dix ans loin de son foyer, Ulysse prend son temps. Tout son temps. Sur le chemin du retour, arrivant avec ses navires sur l’ile de Circée, il déjoue le sortilège de l’enchanteresse (qui avait changé ses hommes en cochon), la menace de son épée pour obtenir ses
faveurs (autres temps autres mœurs : le concept de consentement est très différent à l’époque) et… s’y repose avec ses hommes. Pendant un an. Alors certes, la guerre fut longue et éprouvante. Le repos du guerrier est important et qui pourrait lui reprocher de se délasser un peu pour arriver en forme auprès de sa chère et tendre… Mais un an ? Visiblement Pénélope et Télémaque pouvaient attendre encore un peu. Et ils attendront encore beaucoup, le temps qu’Ulysse se délasse. En effet, sur les neuf ans qui restent d’Odyssée, Ulysse en passe sept (huit ?), « prisonnier » de la nymphe Calypso, folle amoureuse de lui… Pourquoi des guillemets à prisonnier ? Parce que personne n’est jamais très clair sur ce qui concrètement retient Ulysse prisonnier des bras de Calypso (ils auront, selon les auteurs, un ou plusieurs enfants). Quand les Dieux lui font savoir qu’elle doit le laisser partir, elle va voir Ulysse et lui dit qu’il peut partir en construisant un radeau (oui oui, il semblerait bien que le grand Ulysse, l’homme aux milles ruses, n’ait pas pensé, en sept ans, à… construire un radeau pour quitter l’ile ?!? On l’a connu plus ingénieux, ou en tout cas plus motivé…). Pas de sortilège, pas de menace, rien… D’un autre côté, si je devais expliquer à ma femme sept années passées sur une ile avec une nymphe nymphomane (« aux amours prolifiques… », ce n’est pas moi qui le dit, c’était de notoriété publique) alors qu’elle m’attend, moi aussi je dirais que j’étais prisonnier et très très malheureux… Bref, après sept ans (le temps que dure l’amour ?), quand Calypso commence à se faire vraiment insistante et parle de passer l’éternité ensemble sur son ile déserte, notre héros tergiverse, s’esquive et se rappelle tout d’un coup Pénélope qui tisse et détisse, son fils et son royaume. Il décide enfin que bon… il est temps de rentrer chez lui. Il construit son radeau, arrive sur une ile, rencontre Nausicaa (de la vallée du vent ?), a le droit à une fête, dit qui il est et… est ramené chez lui ! En trois semaines ! Maximum ! (non, son équipage n’était pas très bon… on y reviendra).
Mais faisons une petite parenthèse, et revenons un peu sur Circée… Circée, c’est la méchante de l’histoire, la terrible sorcière, la sœur de Médée : elle change les hommes en bête ! (une métaphore ?) OK. C’est vrai, on ne le dira jamais assez, changer les hommes en cochons, ce n’est pas bien. Toutefois… on parle d’une femme, dans une société qu’on va dire… patriarcale ? En tout cas certainement peu sensible aux thèmes féministes, qui vit seule dans sa maison, sur une ile déserte… Et que se passe-t-il quand un des inconnus qui débarquent, Ulysse, n’est pas transformé en cochon ? Il la menace de son épée, pour obtenir son consentement et sa soumission, et lui et tous ses soudards passent une année sur l’ile, dans sa maison, à piller ses vivres et jouir de son « hospitalité »… A posteriori sa méfiance vis-à-vis des étrangers apparait fortement compréhensible et qui pourrais lui reprocher d’avoir préféré prendre les devants…
Ainsi, sur les dix ans que dure l’Odyssée, Ulysse en passe au moins huit à terre avec des nymphes immortelles : l’une éperdument amoureuse et l’autre… préférant la chaire au fer. Voici donc l’histoire conté de « celui qui sur les mers passa par tant d’angoisses, en luttant pour survivre et ramener ses gens ». Il est vrai qu’à strictement parler, pour être rigoureux et rendre justice aux muses, il est alors sur terre ferme et non sur les mers, où c’est effectivement souvent plus… compliqué : des vagues, du vent, des cailloux, et de l’eau (et pour ceux qui se le demande : non ! il ne ramena pas ses gens _ mais il faut reconnaitre que c’étaient un peu des boulets, qui libèrent les vents contraires quand ils sont en vue d’Ithaque et font faire demi-tour, mangent les bœufs d’Hélios quand on leur a dit de ne pas le faire, tombent dans tous les pièges qu’ils croisent alors même qu’ils ont été prévenu et ne font que des bêtises quand il n’est pas là. Sérieusement, même Pierre Richard s’en serait mieux sorti ! Sans eux pas d’odyssée : Ulysse serait rentré directement chez lui… Bref, ils l’ont bien mérité, ne pouvaient pas être sauvés et puis après tout c’est l’intention qui compte). En fait
pour Ulysse l’Odyssée se déroule en trois étapes : 1) se débarrasser des branquignoles qui l’empêchent de rentrer chez lui ; 2) une fois débarrassé d’eux, s’amuser quelques temps chez la nymphonymphe Calypso, après tout on ne vit qu’une fois ; 3) une fois lassé, trouver un équipage sérieux pour rentrer à la maison en quelques jours. Le gros de l’Odyssée c’est l’étape 2).
La dimension épique de l’Odyssée est donc sujette à caution… Mais c’est la dimension psychologique du personnage qu’il est réellement intéressant d’explorer.
à suivre!
Niso d’El Fyss