Il s’ennuie, c’est mortel! ça fait 20 ans qu’il revit chaque jour la veille. Automatique, il se lève et recommence. Chaque jour, tout a le même goût. ça fait 20 ans qu’il meurt chaque jour demain. Machinal, il se couche et espère: mourir oui, mais demain.
Serait-ce mieux ainsi? serait-ce fuir?
Il s’ennuie, c’est mortel! il ferait bien l’amour pour oublier, mais quand ça lui arrive, ce n’est jamais que par hasard. Une femme dans son lit, de toute manière, ça l’ennuie aussi. Anesthésié, il sent à peine les présences, et moins encore les absences. Devant sa télé parfois, il se prend à rêver…à rêver d’un amour fou. A rêver d’un sentiment de plénitude, auquel deux yeux qui ne seraient pas les siens seraient suffisants. A rêver d’une sensation de vide, à lequel un cheveux manquant serait suffisant. Mais derrière son écran, il ne rencontre qu’en virtuel celle qu’il finira par prendre sans l’aimer. L’amour, c’est un bien grand mot pour deux bouts de viande…
Il s’ennuie, c’est mortel! Il ferait bien la guerre pour y penser. En voilà une chose qui doit remplir l’existence -en vidant celle des autres. En voilà une grande affaire, enfin, un truc à raconter, à photographier, à exposer. Lui, enfin, aussi, aurait son histoire, son mot à dire, sa gloire, sa folie.
ça fait 20 ans qu’il attend. Dans l’isoloir parfois, il se prend à rêver..à rêver qu’il est rebelle et que son vote mènera à la guerre, ou à une bonne révolution! Il trancherait des têtes, planterait des piques, incendierait le parlement! Mais devant l’élu, il ne sait que plier le genou. La soumission, c’est un bien grand mot pour une articulation…
Il a perdu ses cheveux et son odeur. Son corps est trop mou pour que la vie le fasse encore bander. Ses cils sont trop courts pour que des larmes puissent encore couler. Il a perdu son temps. Il s’ennuie à en crever. Serait-ce mieux ainsi? serait-ce pire?
Serait-ce mieux ainsi? Serait-ce fuir?
Valériane Des Voiles
illustration: un cabinet de curiosité…est-ce là qu’on l’enferme?