Et à la fin, son histoire tourne au vinaigre. Elle s’applique, cette femme aux cheveux si blonds qu’ils ont l’air verts. Elle fait ce qu’il faut, quand il le faut. Elle essaye du moins. Consciencieuse et polie, elle est une collègue idéale, tout le monde le dit. La femme cornichon est une amante motivée, Fabrice le dit. Michel aussi. Printemps-régime, été-rosé, automne-rentrée et hiver-cours de cuisine-pilates-detox-médecine douce.
Alors, comment en est-on arrivés là? Comment le vinaigre est arrivé? C’est ça la question qui l’afflige quand elle se regarde dans le miroir illuminé du petit salon de Chez Tif…En plissant un peu ses yeux dans un geste involontaire que la coiffeuse polie attribue à quelque opinion politique divergente de la sienne, Madame cornichon fouille sa mémoire à la recherche de cet instant où le piquant s’est mué en aigre. Par facilité, elle aurait tendance à penser que c’était en 2003, lorsque son premier mari l’a quittée. C’est vrai que ça n’a pas été facile, mais soyons lucides, ce n’est pas ce qui a fait d’elle ce cucurbitacée mariné. Elle le sait aussi, mais ce n’est pas simple de se l’avouer. Il faut plus d’un instant, fût-il douloureux comme dans un film qui fait pleurer, pour devenir un cornichon. Il faut une petite habitude patiemment construite, de compter chaque geste gentil que l’on donne et chaque coup que l’on reçoit avec panache. Il faut encore savoir bien ce que l’on supporte, et n’en rien dire, et en sourire, comme si l’on gardait au fond de soi une petite boîte à bijoux maudits, dont on regardait l’éclat avec jalousie. « Ce diamant là, ce sont mes larmes retenues avec noblesse, ce sont mes humeurs contenues, et moi, je ne suis devenue cornichon qu’à force d’économie, de bile et de fierté! »
Evidemment, elle est intelligente, respectée bien au-delà de son quartier, et surtout bien conservée. Ce qu’elle cherche encore c’est un homme pâté à assaisonner.
Valériane Des Voiles
illustration: Ceci n’est pas un cornichon