Réseau sans fil

À côté de moi s’installa un homme puant qui, dès sa montée à bord s’aperçut de son erreur de destination. Il avait un air de savant fou, fortement accentué par ses lunettes aux lentilles si épaisses que ses yeux semblaient indéfiniment se multiplier.
Ses vêtements, autrefois de qualité non remarquable mais du moins très correcte étaient sales et usées (d’ailleurs aussi odorantes que l’homme qui les portaient), témoignant ainsi du manque récurrent de soin à leur égard. Sa barbe clairsemée, ses mains rustres aux longs ongles jaunes et ses chevaux poivre et sel gras parachevaient le portrait tant visuel qu’olfactif.

Cet homme habile avait en lui la singulière mais désagréable capacité d’avoir une sorte de psychose frénétique communicative qu’il a su immédiatement me transmettre, m’ôtant dès lors toute possibilité de détente. Sa position tétanisée était parfaite, il portait son sac d’une main, la jambe en appuis comme un  ressort,  et gardait son regard fixé chaque seconde sur le phylactère où déroulait le nom des prochains arrêts du train. Ce comportement paraîtrait presque normal pour le moment 3 minutes avant une arrivée en gare, cet homme talentueux garda la position pendant une demi-heure ! J’étais évidemment également tétanisé mais néanmoins impressionné par cet inconfortable immobilisme.
Ce comportement ne serait pas suffisamment intriguant s’il n’y avait pas de paroles chez cet homme.
L’unique citation de cet énergumène (il réalisa l’exploit de la citer continuellement 136 fois en 30 minutes) fut  » il ne s’arrête pas à Coutras je vais descendre à Libourne ».
Vous imaginez donc quel ne fut pas mon soulagement de le voir enfin quitter la rame, rendant à mon corps son état premier de détente méditative propre aux voyages ferroviaires.
Je crois que au vu de mon épuisement physique à la suite de ce contact (peut-être combat me direz-vous !), un second souffle est vraiment l’état que je vis actuellement !

Thibaud