Ça me démonte, de savoir que j’y arrive, je survis. De bric et de broke, prêt à me casser la gueule. Le vent, et l’alcool ne m’ayant jamais si bien aidé à rester debout. Le cœur bat mais bouillonne, avec l’irrémédiable envie d’enfoncer mes ongles et de fourrer ma langue dans chacun de tes interstices. Cicatrice d’une main posée à mon bras, inerte, insensée de passion, sinon celle d’avoir planté cette putain d’agrafe dans mon crâne. Le fer en appui tête, bascule, urine et soulage. Et chacun des mètres de rhum que j’enfile me plaque vicieusement à l’ébène du bar, à me faire respirer l’odeur de la bière souillée, comme de l’écume nauséabonde qui te lèche le front au matin, tu sombres à quai sans jamais avoir débarqué.

Comme un putain d’aveugle, je porterai à jamais ces foutues lunettes, avec toujours le même reflet en bruit de fond, le tien. Et le vide laisse entrevoir le jardin des Hespérides à travers l’émail des chiottes, coincé du côté dépoli de la lucarne, floué en bronze et flouté dans la pénombre, on est loin du palais des glaces. Le miroir te superpose à ma réalité comme il virtualise mes instincts primaires, à décramponner l’étreinte pour mieux m’effondrer, à vouloir fixer la Gorgone pour la contempler dans l’éternité. C’est plutôt la laisse au coup que je déambulerai dans les décombres, trahit par les coups de canne que je donnerai ça et là, mais ils résonneront faiblement à chaque triangle esquinté, liés inlassablement à une seule et même fréquence, la tienne.

Cependant point de symphonie dans les partitions, les virtuoses déchantent et les « Guitar Heroes » tombent les cordes en garrot, la caisse éventrée sur le bas-côté. Leurs tatouages se recroquevillent à mesure que les peaux flétrissent. Pauvre amour, où sont tes enfants du rock, les vieux sont déjà au lit.

Le lendemain qui vacille me fait hisser le drapeau, Hank Moody en saint patron et trash love en addiction, au premier rang de la dépravation, de l’amour qui chlingue, série en cours sans compromission. Passer du funeste à la honte, esquissant la case rêve comme on touche le piège à rats, on s’éclate les doigts.

Oser appeler ça des sentiments et s’empaler le crayon sur le moindre bout de papier qui dépasse, en espérant que cela plaise, avec une touche « chic-dégueulasse ». Qu’un mendiant s’abreuve et me taille la pièce, le flanc évidemment. J’ai pas suivi le lapin blanc, mais j’encaisse le décalage horaire, le vol étriqué du vautour, de la carne crispée au cœur, du rire et des pleurs, de la vraie chair dans un décor de cinéma.

Illustation: Sherif (malgré lui) Hood de la série Banshee

Sam Lebrave