Avec tendresse

Ma grand mère, c’est un peu Marguerite Duras. A première vue pas du tout.
Ma grand mère, c’est toute l’Alsace. Son visage est beau. Elle parle comme elle seule sait parler, en traduisant parfois des mots d’alsaciens qui ne ressemblent à rien en français. Elle ne parle pas tant que ça, mais souvent avec un air entendu, futé, elle fait mine de prononcer des vérités bien gardées. Des trucs d’anciens. Des preuves de sagesse.
Il y a l’accent aussi.

Par exemple, elle a dit une fois: « Celui qui ne part pas n’a pas besoin de revenir ». Je l’entends dans ma tête cet accent là, mais toi peux-tu l’imaginer? Je ne sais même pas si c’est une expression connue en alsacien, ou dans le village de mes grands-parents, ou dans leur famille, ou bien si c’est une invention de sa langue, à ma Mamama.
Elle fait rire cette phrase. Mais elle me reste. Et comme elle a été dite avec la même solennité que toujours, je me demande ce qu’elle cache. C’est quoi, son secret? Son sens?
Est-ce que Mamama parlait de l’effort de revenir? De cet effort violent que nous sentons, quand il faut prendre le train du retour, ou lorsqu’il faut demander pardon humblement…Cette phrase là, drôle, est-ce que ce n’était pas une leçon de vie? Moi non plus, je n’aime pas revenir. Je n’aime pas rentrer lorsque j’ai fui. Je n’aime pas reprendre le quotidien. c’est plus dur que de le continuer, le reprendre c’est comme tout recommencer. Je n’aime pas revenir auprès d’une personne blessée, fâchée, cette personne qu’un moment on trahit, sans savoir peut-être, mais qu’on trahit quand même. L’ami fâché, ou déçu, celui que l’on a blessé, il faut lui demander pardon. Et parfois il ne pardonne pas. Le lien est mort. Et on est revenu pour rien. Non pas pour rien, mais parce qu’il y avait une faute à révéler. Pardon. Alors, ma grand mère a raison: mieux vaut peut-être ne pas partir, ne pas trahir, ne pas blesser. Mais si on part, tôt ou tard il faut revenir et sentir la peine de revenir.

Par exemple, elle dit souvent: « Oui, c’est bien ». Cette phrase là, je l’adore. Elle est adorable. Je l’applique même! C’est un trait de génie. « Oui, c’est bien », c’est une espèce de « cause toujours » bienveillant. C’est un point final à tout. C’est la paix. C’est l’absolution dans le détachement…Fais ce que tu veux, tout est bien. Oui! c’est bien! C’est la fin du dialogue, mais ce n’est pas grave.

Et puis par exemple, elle dit parfois, pour désigner la mort: « finir à l’envers ». « Pas qu’on finisse à l’envers! », s’exclame-t-elle avec une voix un peu plus aiguë, si nous faisons quelque chose de dangereux. A l’envers comme une mouche qui meurt. Comme beaucoup d’insectes en fait, que l’on imagine mourir sur le dos, en agitant de désespoir leurs pattes non-synchronisées. Et Marguerite Duras a écrit sur cette mort d’une mouche à laquelle elle a assisté (il était 3h20 de l’après midi je crois). Elle s’attarde sur cette description. Elle dit la mort. Une mouche qui meurt c’est la mort quand même. Ma grand mère n’écrit pas, ou bien ce serait vite fait. Elle le dit en trois mots: « finir à l’envers ». Je te l’avais dit, Mamama, c’est Marguerite Duras. A première vue, pas du tout.

Valériane Des Voiles