In Memoriam Miroslav Antic*
Elle est juste là. Elle se regarde dans mon miroir. Dès le matin, penchée sur mon cou, et parfois plantée au fond de ma gorge, elle s’agrippe à moi et elle m’étouffe.
Elle parle dans ma bouche, et embrasse tendrement celui que j’aime.
Je la déteste, l’imposture.
Elle ferme mes yeux sur les cruautés qu’au quotidien je commets. Ses plaidoyers interminables justifient tout ce qui lui sied, et à la demande, elle improvise, à l’aise avec tous les crimes, des lettres de grâce sarcastiques.
Elle ne sait jamais vraiment ce que je dis, et n’en rend aucun compte, mais m’impose, à moi, de la suivre pas à pas, et de lui servir de héraut.
Elle minaude la crapule! Elle frime! Elle écrit aussi! Peut-être est-elle la seule qui puisse le faire, puisque moi je ne fais jamais rien.
Comment n’aurais-je pas honte? Elle ment, puisqu’elle n’est pas moi, et puisque je ne suis pas elle. C’est elle que l’on croit pourtant, comme si elle savait mieux être ce « moi » que chacun connaît. C’est elle que l’on aime.
Un jour je la démasquerai, l’imposture.
Elle se sert de mes dents, pour nourrir ses bêtes et mes démons. Elle fait l’innoncente, mais moi je sais bien qui elle est, cette raclure.
Elle change mes traits et en fait des portraits qui sont moi sans me ressembler.
Je la déteste, l’imposture.
Un jour je la démasquerai, la pourriture.
Mais parfois dans la nuit, dans la grande nuit toujours carrée, je me demande qui de nous deux est l’imposture?
Fallait-il être l’autre plutôt que moi qui suis une autre?
Et si l’imposture était ma seule intimité?
Ce qui est secret, le mal qu’ils ignorent, qu’elle leur cache, le vide, le futile, le léger, la poussière: à moi! Cette fichue nuit carrée, l’infini, le beau, la poésie quand elle est nue: à moi aussi!
Rien que pour moi, ce triste spectacle de la déréliction et de l’abandon.
Si je la démasquais, l’imposture, que resterait-il de moi?
Valériane Des Voiles
*In Memoriam est le nom d’un poème de Mika Antic, dont la beauté et la cruauté traduise mille fois mieux que moi ce sentiment terrible de l’imposture.
Voici le lien vers le site qui en propose une traduction française:https://journals.openedition.org/slavica/1322
Sur le même thème (non ce n’est pas mon obession; c’est la sienne je crois!), si tu en as l’envie, tu peux aussi lire mon petit mot sur « Le double »: http://lesecondsouffle.fr/ceci-et-cela-a-propos-du-double-de-dostoievski/
Photo: autoportrait « blablamoi-split »