Qu’aurait été la bataille d’Hernani sans le gilet vert de Théophile Gautier? L’impertinent jeune romantique avait choisi de le porter sur un pantalon rouge (comble de la provocation!) pour défendre Hugo et la révolution qu’il portait en lui. Au diable le gris bienséant cardigan des braves gens! Les romantiques, malgré leur mal du siècle, avaient choisi la couleur comme étendard de leur rébellion. On peut être triste, tourmenté, enragé même, et aimer les couleurs vives…

Les gilets jaunes ont eux aussi choisi de faire d’une couleur criarde leur porte-voix. Elle gueule, à n’en plus pouvoir, cette foutue veste fluo. Ce gilet, d’ailleurs, n’est-il pas celui de l’alarme: « Attention! » Le gilet jaune, c’est celui que porte les ouvriers sur les chantiers, les éboueurs dans la nuit, tous ceux qui ont besoins d’être vus, les automobilistes en panne et les cyclistes en route! Les gilets jaunes contre le noir costard des banquiers, des managers, des avares? Le gilet jaune c’est aussi un vêtement imposé: il a bien fallu s’en équiper, sous peine d’être amendé…Tenue correcte exigée pour tous ceux qui auraient voulu pouvoir, sans vouloir le pouvoir.

Le mal du siècle, ils en souffrent aussi! Ce n’est plus la grande déprime échevelée des romantiques, c’est une petite rage au fond du cœur, une violence à même le torse, de n’être jamais assez dans ce monde du trop. Pas assez payés, mais au fond pas assez estimés, pas assez regardés, malgré les gilets! Regarde les!

Le gilet, ce vêtement superflu qui est pourtant le dernier que l’on abandonne avant d’aller nus pieds, comme ce héros affamé de Knut Hamsun, serait-il l’habit de la révolte? Le gilet en tout cas n’a pas la même vocation que le brassard. Alors que le brassard marque l’adhésion au groupe, le gilet est un vêtement personnel, que chacun porte un peu à sa manière, et qu’en tout cas Théophile avait pris pour se démarquer, pour s’opposer à un ensemble dont il ne se sentait plus solidaire.

C’est presque un vœu pieux en réalité…Je t’en prie, si tu portes le gilet, n’oublie pas que tu n’as pas choisi le brassard!

Valériane Des Voiles

illustration: un gilet jaune bourgeois (même virulence que son homologue populaire)

Author Valériane Des Voiles

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  • Sam Lebrave dit :

    Je ne peux que relayer le texte « Je suis vulgaire comme un gilet jaune » de Didier Maïsto. Ce n’est pas de la poésie, mais c’est une parole qui m’a touché et qui résume parfaitement ce qu’est ce mouvement.

     »
    Les Gilets jaunes c’est la France laborieuse, la France de ceux qui fument des clopes et roulent au diesel, des ouvriers et des petits patrons. La France des troquets, du tiercé et des plats du dimanche. La France ni de droite ni de gauche –ou d’un peu des deux. Celle de ceux qui ne sont rien, mais pas personne, la France des illettrés, des harkis, des légionnaires, la France des prostituées et des poissonnières, la France de ceux qui ont choisi la France pour y vivre, y travailler et y mourir. Celle des parents qui mettent des torgnoles à leurs gosses pour leur apprendre à se tenir. Des fins de mois difficiles, qui sont autant de fins du monde, sans cesse renouvelées. La France qui se baisse pour ramasser une pièce, éteint la lumière de la cuisine et met les restes au frigo dans un tupperware. La France des types qui matent le cul des filles et celle des filles qui font semblant d’être offusquées. Celle de ceux qui appellent un arabe un arabe et un noir un noir. « Diversité », « minorités visibles », « #balancetonporc », « covoiturage », « transition énergétique »… ces mots sont vides de sens pour cette France, LA France. La France qui vanne, invective, s’insulte puis se réconcilie devant un verre de rouge, pas forcément avec modération. La France modeste et fière, qui compte les centimes en rêvant de gagner au Loto, qui n’aime pas trop les riches et n’en peut plus d’être pauvre. Celle qui déteste les sous-chefs et adore haïr les chefs, pourvu qu’ils en aient la stature et l’humilité. La France qui se branle de l’Europe, mais qui adore les Italiens, les Espagnols, les Portugais ou les Grecs. Enfin, ça dépend des jours. La France qui se fout de l’écologie, mais qui connaît le nom des arbres, des champignons et des oiseaux. La France ni raciste, ni xénophobe, ni fasciste, ni homophobe, celle qu’il faut juste respecter et pas trop emmerder avec des histoires de corne-cul. Celle qui veut vivre de son boulot et se sent humiliée quand on lui fait l’aumône ou la leçon. Celle qui sait que ses ancêtres n’étaient pas forcément des Gaulois, mais ne peut s’empêcher de chialer quand elle entonne La Marseillaise, dans un stade ou dans la rue. La France pétrie de contradictions, qui dit rouge et qui dit noir, qui se signe à l’église et bouffe du curé. La France de ceux qui n’envisagent pas une seconde de ne pas se faire enterrer en France, même –et peut-être surtout- si leurs racines sont ailleurs. Celle qui tient la porte, cède sa place dans un bus et se gèle toutes les nuits sur les ronds-points des nationales. Un seul coup de klaxon et… je serai guéri. La France des pantalons qui piquent, celle des antimilitaristes qui ne manquent aucun défilé du 14 juillet à la télé, celle des pulls en acrylique et du Tour de France, la France de Coluche, d’Audiard, d’Akhenaton, la France des Fragione, des Perez, des Cavanna, des Cherfi et des Matombo, du Père Noël est une ordure, des Deschiens, des Nuls et de tous les inconnus célèbres, celle de Bebel et des Valseuses, d’Higelin et d’Herrero, la France du film pourri du dimanche soir, celle des héros du quotidien, celle qui pense que Céline n’est qu’un vendeur de sacs, mais dont la culture et l’intelligence sont magnifiques, parce qu’elles viennent de loin, de très loin, de plus loin encore. La France des femmes de ménage et des ramasseurs de poubelles, celle des artisans et des commerçants près de leurs sous, la France qui sait que c’est le travail qui libère et l’oisiveté qui asservit. On ne peut pas aimer la France et ne pas être touché par les Gilets jaunes. Mépriser les Gilets jaunes c’est mépriser la France et les Français, c’est se mépriser soi-même. Chaque fois que je vois un Gilet jaune sur un rond-point, j’ai envie de le serrer dans mes bras. J’ai envie de lui dire « continue mon gars, je t’aime, je suis avec toi, je suis exactement comme toi, j’ai souffert et si aujourd’hui ça va un peu mieux, je sais d’où je viens et où je ne veux plus être ». Je suis un beauf. J’aime les Gilets jaunes. Sans restriction. Avec tous leurs excès, tous leurs manques, tous leurs défauts et toutes leurs frustrations. Je prends tout, absolument tout, en bloc, comme mon pays, la France, mon pays contre lequel je râle et ne cesserai de râler. Oui : je prends tout. Et tant pis si je dois me fâcher avec quelques-uns. Parce que je sais que le jour où je serai à nouveau dans la merde, c’est un putain de Gilet jaune qui m’aidera à en sortir. On ne peut pas aimer la France et ne pas être touché par les Gilets jaunes.
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