Quelque temps après avoir visité le monde merveilleux de Disney avec ses couleurs moirées et ses chansons surannées, une nouvelle plongée s’imposait dans l’univers non moins merveilleux de l’Entreprise où les héros du quotidien sont exploités sans vergogne par un Être abject et sans scrupule qu’est la productivité.
Point de happy end ici, la dictature du Chiffre y est insaisissable. Même les mieux nantis risquent de voir leur peau broyée par la machine. Comme toute bonne histoire doit faire la part belle aux méchants, ces derniers rivalisent d’adresse et d’audace pour opprimer les gentils, piétinés par un bouc émissaire nommé fort à propos la main invisible. Les espoirs les plus purs sont balayés dans un allegretto vicié, le mépris déifié dans un largo lyrique des plus empruntés. Le travail, instrument d’oppression et d’aliénation, s’est vu défloré de sa noblesse première, symbole d’indépendance et de liberté. En ces temps troublés, l’opium du peuple, c’est bien la carotte, celle qu’on nous agite pour accélérer le tempo. Mais la carotte est pourrie jusqu’au cœur, comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement quand les marchands de rêves en sont dépourvus… ?On en appellerait bien à Zola,..Las il est passé de vie à trépas.
Le Chiffre est bel et bien le nouveau Credo des populistes jusqu’aux scientifiques…Et pourtant ce malheureux Chiffre, qui ne demandait qu’une neutralité bienveillante, se retrouve bien malgré lui entraîné dans une danse idéologique, analysé, scruté, démembré, disséqué, ré-assemblé afin de lui donner un semblant de réalité propre à servir une cause supérieure. Il est de manière traître mis en concurrence avec d’autres, il se prend même parfois les pieds dans le tapis, mais son partenaire, en cavalier émérite, le conduit fermement vers son but ultime. Et l’humain, à contretemps, s’étale de tout son long dans son propre marasme, privé de la liberté la plus élémentaire…Mais voilà le Fou du roi qui fait une entrée tonitruante dans la salle de bal. Il se lance dans une sarabande enragée au milieu des convives, couvrant ci et là de flatteries et autres promesses démagogiques. La foule applaudit, les humains, de nouveau mystifiés, s’enlisent dans une liesse facile et mensongère. Alors à nous prendre pour des poires, entre « révolution » et « avenir en commun », nous voilà bien les dindons de la farce.
L’heure de la représentation a sonné, le vin est tiré, l’acteur peut épouser le masque pour le dernier acte.
Green Fairy
Image : Le couple mythique de la comédie musicale, Ginger Rogers et Fred Astaire
Waouh, Green Fairy, quelle énergie et quelle ardeur, que ces curieux faiseurs d’argent et de chiffre ont tort de ne pas employer ces vives qualités pour servir leur objectif. Il faut bien être passé dans la machine à broyer pour comprendre et les mains qui nous agitent comme des marionnettes s’y prendront les doigts elles aussi. Le masque passera sur d’autres visages, c’est la loi de la vie qui passe. Heureusement, l’Humain subsiste, survit, et cette belle lettre en est la preuve.
Une valse grotesque agitée de soubresauts, un parangon de danse qui s’étire et s’étiole jusqu’à l’épuisement.
On achève bien les chevaux.