La vérité sur les clubs de strip-tease, c’est qu’ils sont pleins de filles qui ont tout compris: que si chacun est un objet, autant en vivre et l’assumer; que si tout s’expose, se montre et se regarde, autant ne plus se fier à une intimité trahie; que les choses vont mal, et qu’il est temps de le dire enfin.
La vérité sur les clubs de strip-tease, c’est qu’il est plus admis de gagner sa vie en se déshabillant langoureusement, qu’en profitant de sa culture pour comprendre le monde, et la vérité, surtout, c’est que celles et ceux qui se déshabillent langoureusement ont cette culture là, mais qu’elle n’est pas la part d’eux-mêmes que leurs clients espèrent découvrir. On pourrait s’étaler sur les « pourquoi », sur les « comment », sur les étonnements et les incrédulités que chacun feindra d’avoir, devant cet énoncé simple d’un fait concret, mais honnêtement, lecteur, je ne vais pas me fatiguer, parce que je crois que tu sais déjà ces « pourquoi » et ces « comment », la vacuité de ces étonnements polis, et les mécanismes psychologiques qui font de l’incrédulité l’alibi de l’inaction et de la résignation. Montrer ce qu’au fond nous regardons tous en regardant la télé, c’est faire pratiquement œuvre de critique sociale.
La vérité sur les clubs de strip-tease, c’est qu’on vit dans un gigantesque club de strip-tease. Tu lis ce texte au titre racoleur pour voir quelqu’un ou quelque chose se mettre à nu: eh bien regarde, j’avance à pas chaloupés. Regarde la grande faille qui coule au milieu de mon corps et vois tout ce qui me transperce. Tu as vu? N’est-ce pas ce que tu voulais? Un peu d’indécence, un peu de décadence palpable pour répondre à ta culpabilité sourde? Un peu de sel et de piment dans la soupe quotidienne de la fadaise? Des billets dans la culotte de cette fille qui va bientôt l’enlever, comme des pièces jaunes dans le béret de ce musicien, pour racheter ce que nous avons perdu (parce que tu crois bien au rachat!). Des gros billets dans la caisse de ce vendeur de voiture, de téléphone, de rêves, et des petites pièces dans le gobelet de ce mendiant, pour oublier que ta dernière augmentation t’a coûté la peau d’un collègue que tu traitais en ami. Tu lis peut-être ce texte au titre racoleur, parce que tu as été éduqué à cette curiosité là plutôt qu’à celle qui engendre des risques. Tu lis ce texte au titre racoleur en pensant que cela fait de toi un rebelle, mais je te rassure, c’est une rébellion bien-pensante. Le rose est partout, du téléphone au sitcom, et il tend à remplacer le noir sur la laine des moutons*. J’écris peut-être ce texte au titre racoleur, parce que dans un élan d’autodestruction, je voudrais finir par étaler rage et dégoût. Se vendre et se tuer, mais enfin provoquer quelque chose. La violente crudité de tout ce qu’on a appris à accepter est partout affichée, passant pour un décor banal et surtout inévitable, comme si elle était la seule réalité.

La vérité sur les clubs de strip-tease, c’est que ce ton donneur de leçon est insupportable. C’est bien ce que tu penses, toi qui danses nu, parce que cela t’amuse. Tu revendiques cette liberté de jouer, et sans doute as-tu raison. Tu as été plus malin, dans ce monde là. Mais, dis-moi, est-ce que c’est si facile de jouer?
C’est bien ce que tu penses aussi, toi qui lis d’un air narquois ce ramassis de gaucheries bien pensantes. A toi, on ne la fait pas: tu es libre d’être enchaîné à ta vie sans attache, et cela t’amuse aussi bien de faire de ta vie un bar à champagne, où les entraineuses remplissent ton ego en vidant leur verre. Tu as été plus malin, en mettant entre ce monde là et toi des milliers de kilomètres, ou des paquets d’indifférence. Mais, dis-moi, est-ce que c’est si facile de jouer?

La vérité sur les clubs de strip-tease, c’est qu’il faut rigoler.
Il faut rire, tu m’entends! Ris! C’est ce que la société attends de toi. Sois le plus fin, aies donc de l’humour, tout est léger, et reste bien sage.
Ris bon sang!!! N’est-il pas comique cet homme famélique dans ses trois manteaux?
Ris! Qu’est-ce qui se passe, elle n’est pas drôle cette grosse femme dans sa toute petite robe, à montrer le vide en montrant sa chair? Ce n’est pas tordant de voir se défenestrer ce jeune diplômé en philosophie, et en littérature, et en histoire de l’art, parce qu’il a été jeté d’un entretien d’embauche pour vendre des fenêtres?
Faut rigoler! Alors ris, nom de dieu! Ris! N’est-ce pas, qu’on doit se mordre la joue, pour ne pas se tordre de rire, devant cette fille de 21 ans, qui vient d’avoir un master, et qui obtient plus de respect dans un nightclub où on la juge utile, que dans ses écrits engagés que personne ne lit?
Qu’ils sont drôles, ces clichés! Ce vieux qui agonise seul après avoir eu dix enfants; cette fille aux grands yeux tristes qui ressemble à un publicité pour du parfum; ce journal télé où la fête à la saucisse du village voisin succède sur le même tons aux guerres du bout du monde; cet universitaire qui n’est plus curieux; ce comédien révolté qui secoue de toutes ses forces les âmes fatiguées des trois vieillards qui vont encore au spectacle; et cet homme courageux qui ne sait plus aimer: tout ceci n’est il pas hilarant? Alors, ris!
Ris, si vraiment tout est dérisoire, et fais la fête, tiens! Oui, il faut rire et s’amuser, si vraiment nous ne pouvons plus que jouer sans y croire. Fais donc ce que l’on t’ordonne, et ris.

La vérité sur les boîtes de nuit, sur les after-party, sur les comité d’entreprise, sur les institutions, sur les émissions de télé, c’est que ce sont des clubs de strip-tease.

* »le nihilisme rose » dont parlait Philippe Muray est bien à l’œuvre.

 

Valériane Des Voiles

illustration extraite du film Blade runner 2049

D’encre
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  • Sam Lebrave dit :

    La vérité sur cette l’image que tu as choisis, c’est qu’elle a révélé le moment précis du film ou mon cœur a battu le plus fort, merci, et sur ce constat terrible, un mal est à l’œuvre. Un monde en proie au green washing et l’interconnexion, au global dans le rapport au quotidien, c’est une illusion. Jamais on a prétendu autant mélanger les genres, la réalité nous rappelle à être spécifiquement concentré vers un but individuel, un idéal, une carrière, un organe génital. Cette femme aussi fantasmagorique que titanesque en est la représentation même, elle paraît magnifique, à jamais atteignable, elle est aussi transparente… c’est prenant. De battre mon cœur les mots ce sont lus, sur la partie tenante, combat contre la banalisation, voir stigmatisation, et les donneurs de leçons. Banalisation du mendiant, mais aussi banalisation de celui qui tend la pièce ou la bière, ou le morceau de sandwich. La mise en abime de la banalisation pour éteindre toute action, de la main tendue, en passant par le partage, et l’optimisme (ces gaucheries). Quand la précarité, et le sale, et le sournois sont aussi banalisés, que dénoncer? Déclin vers l’époque des misérables en queue de cochon pour mieux réagir? L’humanisme (pour le meilleur et pour le pire) de ton texte est magnifiquement porté par les messages véhiculés dans Blade Runner, à moins que ce ne soit l’inverse.