Inflation serait-il l’un des mots clés de cette rentrée? Avec près de 600 nouveautés et des centaines de tonnes de papier (une pensée sincère pour nos amis les arbres), la rentrée littéraire a (encore une fois!) dépassé toutes nos espérances.Votre serviteur a déjà les yeux qui saignent rien qu’à cette pensée. Chacun y va de son «coup de cœur», «un roman formidable qui ne peut que nous éblouir»,…. attention l’éclat aveuglant du récit nécessite bien évidemment le port de lunettes de soleil conforme à la réglementation européenne au risque de perdre notre capacité d’analyse.
Chaque maison d’édition drive son étalon car, à la vérité, la rentrée littéraire s’apparente à une course hippique dans laquelle chaque écurie envoie avec plus ou moins de bonheur, et d’atouts (l’égalité des chances n’est pas de ce monde vous à t-on déjà dit), poulains, chevaux expérimentés, et vieux canassons à la santé préoccupante. Ne vous inquiétez pas ceci dit, chers lecteurs, pour ces derniers. Malgré une écriture empruntée, voire sclérosée, ils ont toutes les chances de rallier l’arrivée et de décrocher les lauriers. Les voici à présent tous s’élançant sur la piste au pas, au trot, voire même au galop pour les mieux nantis. Sentez vous ce frémissement, que dis je, ce bouillonnement qui monte de la foule en délire, s’interrogeant, spéculant sur le nom du vainqueur de cette prestigieuse édition? Car oui mesdames, messieurs, que seraient les courses hippiques sans les paris? Pari de la maison d’édition, parfois d’audace, souvent de raison, pari du libraire qui s’aventure à chaque fois dans une nouvelle exploration, pari du lecteur en quête de nouvelles sensations. Enfin et surtout, pari de l’auteur qui remet tous ses espoirs entre les mains d’une entité invisible appelée la chance. Il est vrai que celle-ci, inconstante, peut être appâtée par des esprits supérieurs dont nous tairons le nom ici.
Mais revenons chers lecteurs, si vous le voulez bien, sur le tour de piste où hennissements et coups de sabots règnent en maître. Certains de nos concurrents sont désormais distancés tandis que d’autres, favorisés par le sort, ont pris les commandes de la course. Si nos jeunes poulains pleins de hargne tiennent la corde, les vieux briscards n’ont pas dit leur dernier mot. Pour preuve, certains se voient parrainés par une âme généreuse et intéressée qui leur permet d’allonger la foulée. Un dernier virage, et ils aperçoivent enfin la ligne d’arrivée dont le reflet miroite sur le prix tant convoité. La tension est à son paroxysme, un outsider va t-il déjouer les pronostics? Museau contre museau, morsures, ruades et claquements de cravaches, enfin le vainqueur apparaît dans toute sa gloire. L’écrivain, ému jusqu’aux larmes, est adoubé par le jury, les spectateurs-lecteurs scandent son nom. Auréolé des attributs de la sainteté, il peut enfin parader.
La plupart des autres concurrents sont morts au champs d’honneur, mais est-ce vraiment mourir? Ils ont rejoint le Valhalla où le moment venu ils renaîtront de leurs cendres.En va t-il ainsi de l’Écriture, qui n’a guère besoin de prix pour gagner ses lettres de noblesse. Chers lecteurs, il est temps pour moi de poser ma plume, la rentrée a son lot de perdants qui ont besoin d’un remontant.
Green Fairy
Oh c’est trop bien! Quelle juste vision/ visibilité de ces rentrées littéraires où les gagnants gagnent avant la course et les perdants se doutent déjà qu’ils vont perdre.
Y aurait-il un lien secret puisque le parrainage de mon beau perdant Ulysse a débuté à la rentrée? Espérons comme pour lui que les perdants seront consolés, soit par une bonne âme de libraire curieux, lecteur assidu qui les défendra, touché par une maison d’édition inconnue ou par un titre attirant.. soit par un lecteur, passant errant qui, plus aventurier que d’autres, osera toucher un exemplaire unique sur la tranche. Un livre serré entre d’autres sur une étagère et ce lecteur lira la quatrième de couverture et sera en joie d’avoir découvert un trésor. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, être là pour être vu, être là et être lu, être là pour être aimé. Et la ritournelle va recommencer comme à chaque rentrée…Laisse aller c’est une valse..