La parole du diable

Je vis avec, comme une amitié intime dont on ne peut se dissocier. Comme un équilibre imparfait sur une balance trop fragile, au lieu de dormir paisiblement au coin du feu il pique le porte voix et hurle dans mes oreilles. Il me parle continuellement en fait. Il s’immisce et me dépasse, troue le cuir et jaillit tel un clown qui tue la fête. Il s’exprime au moment où je me barre. Il se barre en laissant les cotillons ensanglantés, le poids des mots et des aigreurs, qui elles sont tenaces, qui restent comme une incrustation, et c’est moi la bête dans le miroir. Raconter n’est pas se dédouaner, car on ne peut pas oublier les blessures que l’on porte. Faire face, même si je me demande pourquoi je souffre, ce sont justement pas les mains d’un autre, ni sa bouche. L’évidence est aussi dévastatrice que l’acte. C’est ma définition du mouvement que de craindre à chaque battement une tornade. Des jours passent, et souvent tout s’effondre. Ce n’est pas une excuse à l’hésitation. Je n’ai simplement pas le flegme d’un chirurgien mais je dois néanmoins intervenir, vivre en quelque sorte, et si le quotidien déraille c’est une risque. Le diable lui prend alors de la hauteur. Il consigne et pointe chaque tâche au parcours, chaque revers et chaque défaite. Il attise autant qu’il est juge et parti. Avec ironie il rejoue la cassette, de peur que j’oublie et sait amplifier l’agression dans les moments décisifs, risquant l’acouphène, la frénésie. L’accumulation est là et j’écope tant que je peux, de pleurs et d’insomnies, appelant dans les heures sombres au répit.

Sam Lebrave

Illustration: Pixabay