Il est 15 heures, disons, et quelques minutes. C’est une heure banale. Le ciel ressemble encore à une peinture de Turner, ça doit être son truc. D’une manière ou d’une autre, le ciel en plein jour mêle l’ombre noire au grand bleu, et les vapeurs qui s’étirent et se dégradent lui donne une douceur de plafond d’opéra. L’air est assez frais, mais personne ne frissonne. On est sortis couverts, conformément à la saison. La fille est jolie, mais un peu effacée. Le garçon est beau, mais un peu fanfaron. C’est une histoire banale. Quoi d’autre? Si l’on ne parle pas de ce qu’il se passe entre les gens, on ne raconte rien. Ce serait un parti pris comme un autre. Un autre que le mien. Entre ce garçon et cette fille, le drame qui se joue est à la fois intime et social.
Le garçon s’allume quand cette fille-là le regarde. Il voudrait la toucher, la couvrir, la serrer, lui donner des caresses, mélanger ses gros doigts à ses boucles fines. Il l’aime peut-être. Lui qui a tant rêvé d’ouvrir ses lèvres pour l’embrasser, il les clos, pour l’heure. Silence, ou sous-entendu. Et puis un jour, la peur de tout perdre s’efface devant celle de ne rien gagner. Il y a une victoire à prendre, et tous comptes faits, cette fille-là semble accessible. Alors il se lance, et s’échoue, à la manière un peu sublime d’un orque chasseur sur la plage, surgissant de l’écume fragile où il dissimulait sa masse noire et luisante, et glissant sur le sable un peu plus loin qu’il ne l’avait voulu. Un peu trop loin. La fille aussi glisse, mais pour fuir. Le garçon se sent prisonnier d’une étiquette. Il est rejeté dans sa zone : l’amitié, où la relation dans laquelle il n’y aura ni baisers au creux du cou, ni doigts courant sur un dos lisse. Il se sent blessé, son désir humilié. Et ce sentiment terrible d’être enfermé dans un rôle qui lui est imposé, le garçon ne le supporte pas. Son cœur se brise. Il ne verra plus celle qui se dérobe à l’étreinte pour prendre seulement la poignée de main, comme si elle pouvait prendre une partie et pas le tout!
La fille aussi se brise le cœur. Au fond de son esprit redevenu clair, elle souffre de la métonymie : réduite à sa capacité à satisfaire ou à frustrer, l’éternel objet du désir d’un autre.
Le temps est toujours frais, le ciel limpide, l’heure banale. Le lieu importe davantage : de la friendzone à la fuckzone, mon territoire au-delà de ces mots qui délimitent comme un enclos le monde des bêtes que nous sommes.
Valériane Des Voiles
Ce n’est pas du nihilisme pour autant mais je commence à croire comme Néo qui écoute ce petit moine, la friendzone, comme la cuillère, n’existe pas! Cependant j’arrête pas encore les balles avec ma seule volonté.
Quelle que soit la « zone » dangereuse, territoriale ou protégée, ce n’est qu’une ligne imaginaire en effet.