Là où on touche le fond.
Il y avait cet homme-là, qui portait le masque de la féminité. C’est un masque qui se conquiert. La promesse de Nietzsche de devenir qui on est, c’est-à-dire, pour lui, qui on veut. Il façonnait son masque à force de travail. Trois ou quatre heures de maquillage, une heure de doute et une vie d’angoisse. Ce masque des possibles lui valait la solitude. De quoi plaire encore à Nietzsche, moins aux autres. Face à lui, il y avait un autre homme -appelons-le cet homme-ci. Il portait le masque de l’arrogance, de l’assurance et de l’intelligence. C’est un masque qui ne coute rien et paye beaucoup en société. L’air de tout savoir est une commodité. La situation était comique: cet homme-ci, sérieux, concentré, la mine maline, dans une chambre d’hôtel puante, face à cet homme-là, vêtu en femme. Oui, bien en face de lui. Les yeux dans les trous des masques. Les pupilles sur le vide. En forme de zéro, comme d’habitude. Face à eux, il y avait moi. Je portais le masque de la curiosité.
Chacun derrière son rôle, bien planqué au fond de soi, interchangeable géométrie commune. Le plan à trois façon guignol. C’était tordant, de voir les affreux rictus qu’on faisait, tous, pour surtout ne pas penser. Pour surtout ne pas voir que dans ce jeu de dupes, nous étions tous les couillons.
Il a fallu, après ça, que chacun se lave bien. Cet homme-là a vidé un flacon de démaquillant, enlever sa perruque avec une mine de clown blanc. Son regard de panda, la nature en moins, le malheur en plus, perçait deux grands trous au fond du cœur de quelqu’un qui se trouvait trop loin pour s’en apercevoir. De colère, il a jeté ses faux seins, un collier avec un petit nœud rose et trois perles de pacotilles et un tube de rouge à lèvres vulgaire. Pour cet homme-là, il ne restait rien de ce face à face que des photos un peu froides, pour un moment amer. Cet homme-ci est parti. Il a tenu son rôle, mais il faut dire que c’était un script sur-mesure. Il fallait seulement simuler la force. C’était facile. Il a jeté un peu d’argent, pour faire encore un peu noir, encore un peu plus glauque, encore un peu plus puant. Et puis ensuite, il a complétement perdu les pédales. Il a essayé d’être gentil, de séduire, de plaire, de montrer qu’il valait mieux que ça. Et moi, j’ai ri. J’ai ri. J’ai ri…
Valériane Des Voiles
Son regard de panda, la nature en moins!!! Jolie tournure!