Recommençons là où certaines angoisses finissent. Pour les problèmes de chronologie, ou même de logie tout court, prière d’adresser un courrier au grand métronome.

Il y avait ce temps très long, où j’avais le sentiment d’être plus qu’à vif, brûlée par le JT, comme par les yeux des autres, et où je rêvais à un livre qui se serait appelé « Le papier à musique ». L’image de ces pages où des lignes étaient déjà toutes tracées avait été l’une des brûlures de mon quotidien. Des lignes droites, et minuscules, où il faudrait placer la musique pour qu’elle ait un sens et un son. C’était à la fois une métaphore et un symbole. C’était à la fois une angoisse, qui n’avait rien à voir avec la mort, mais qui avait plutôt tout à voir avec la liberté, et un soulagement paradoxal, de s’imaginer qu’au milieu du chaos de la page blanche, il pouvait y avoir des cordes tendues, des ponts de singe vers la destination. L’absurde avait une issue. Il y avait quelque chose plutôt que rien. Dans ce livre, le lecteur aurait pu suivre les vies croisés de ceux et celles qui cherchent à faire entendre leur mélodie en dehors des lignes fatidiques. Leur quête, peut-être, aurait été vaine. D’autres personnages, pour leur faire pendant, se seraient évertués à être un « la » très pur et net, à reproduire un air connu. Leur vertu, peut-être, aurait été vaine aussi. « Le papier à musique » aurait pu être le meilleur des livres que je n’ai pas écrit, s’il n’avait pas été si convenu. Tous les romans du monde ne parle-t-il pas de ce même thème? Tous les héros ne cherchent-ils pas comment donner du sens à leur liberté? Et puis, ce temps était très long, dans ma vie, où plus qu’à vif, je ne savais pas écrire parce que je ne savais pas parler.

Je n’en sais pas plus à présent. Mais j’ai appris à dire quelques mots, ce qui m’aide assez à raconter des histoires, et aussi à parler vrai. Je n’en sais pas beaucoup plus maintenant. Mais il y a eu ce moment dilaté, hors du temps, où je n’ai plus eu peur de la musique, ni de la petite qui tourne dans ma tête, ni de la grande, qui balaye à coups de métronomes les possibilités d’êtres. Une croche dans ta face de probabilité, une note c’est comme un clou pour collectionneur de papillons. Elle crève l’instant. Ce moment si important, si fugace, fût une complète contemplation. La vie au ventre, je n’ai rien fait. Je n’ai pas pleuré. Je n’ai pas parlé. Je suis remontée me coucher. Dehors, il pleuvait et la pluie faisait à nos fenêtres ce qu’elle fait aux toiles de tentes et aux feuilles des arbres. A ma gauche, il y avait le ronronnement et la chaleur de la chatte noire qui est une autre panthère. A ma droite, il y avait une respiration régulière, un air qui est mon air. Dans le ciel, il y avait une lune, si ce n’est pleine, très ronde et très brillante, qui faisait de ce très petit matin d’hiver, une aurore blanche et bleue. En moi, il y avait deux battements de cœur. Et tous ces sons ensemble étaient l’harmonie. C’était le monde qui vibrait. Et la peur avait disparu. Je ne me suis pas rendormie. Je suis restée étendue là, perdue pour quelques heures dans ce moment où tous les possibles sont rassemblés en création pure. La liberté et le sens collés ensemble comme les bouches de deux adolescents amoureux.

Dans la prochaine tranche de ces aventures échevelées, palpitantes et écervelées, nous fricoterons avec les fous…

Valériane Des Voiles