A la poursuite d’autres souvenirs d’une banalité exaltante et d’une férocité que seules les âmes très sensibles pourront voir, je te raconte cette fois l’histoire de la banane qui avait deux fins. Ô lecteur bien aimé, si tu t’attends à trouver dans les lignes qui suivent une recette de cuisine, passe ton chemin.
Si la banane a deux fins, elle n’a qu’un commencement. Il est brun, et il n’est pas vraiment beau, mais il a le charme de l’intelligence et de la culture. Il est sportif. Je tombe sur lui comme j’aurais pu tomber sur n’importe qui, parce que je suis en quête d’épreuves pour ma peau fragile. Par excès de curiosité sûrement, et par manque d’aptitude à la survie peut-être, je joue à l’amour. Je troque des morceaux de moi contre des simili-moments d’intensité. Ce qui l’anime, lui, dans cette histoire, je ne le sais pas. Il me semble, dans l’instant, que c’est un mystère inaccessible qui me rend plus avide encore de le connaître. Je vois aujourd’hui que toutes les boîtes fermées ne contiennent pas de trésor. Il y en a des vides et des creuses. Il y en a aussi qui renferment quelques billes poussiéreuses et un cheveu terni. Au commencement, et parce que je parlais de la fin, il m’a révélé cette vérité, qui a elle seule vaut sans doute la trace de l’événement: « Tout a une fin, sauf la banane, qui en a deux ».
Sous ses allures de blague un peu vague, la sagesse de cette phrase est sidérante. … Lecteur, ne te frappe-t-elle pas? Laisse moi te livrer ce qui, pour moi, en fait le sel. Ce sont là les relations humaines qui nous sont contées. A la fin, chacun aura sa fin. Dans une solitude infinie, chacun pour soi aura construit l’histoire dans laquelle il sera le héros de l’achèvement. Toréador d’une bête qui fût belle, et noble, et vigoureuse, planté au milieu d’une arène où la foule de notre imagination est en délire, chacun garde au cœur un sentiment à jamais scellé de ce qui fût. Bien mieux qu’une fin en queue de poisson, une fin double de banane, pour signifier la dérisoire histoire de ceux qui ont cru s’aimer.
Et j’imagine que la fin, la véritable fin, c’est moi qui l’orchestre. Je suis lucide, c’est-à-dire tragique. Je n’espère ni n’attends plus rien de lui. Je ne crois plus à ses paroles, qui se remplissent d’ennui. Les contacts s’étirent, et puis s’espacent. Je ne les réclame plus comme un chien sa pitance, ni même plus comme une femme son amant. Des mois de silence. Et la légère piqûre que cause l’absence et l’absence de manque. Il en pense quoi? Comprend-t-il mon oeuvre de destruction précise? Certainement pas. C’est ce qui m’appartient. A l’autre bout du parcours, sur une autre planète, il y a une autre histoire. Celle qu’il se raconte. Sa voix prend tout l’espace. Et je n’existe pas.
Les grands départs, mouchoirs à la main, toutes voiles gonflées par les vents du destin et amertume des derniers gestes dans la gorge, n’existent pas. Il y a mille renoncements minuscules, des malentendus et des langages qui s’éloignent. Et puis un jour, chaque zig au bout de son fruit jaune et lisse, tombe sur la fin de son chemin, comme il était tombé jadis sur son commencement. Les peaux de bananes décidément sont glissantes. Je glisse sur ta fin, et bientôt tu n’existes plus que dans mes rêveries.
Chacun sa fin, et chacun sa soif.
La prochaine fois, ces aventures palpitantes nous conduiront sur les rives de la lune, entre les pattes d’un chat.
Valériane Des Voiles
La musique qui prouve que les bananes sont un fruit philosophique.