Il y avait quelque chose qui n’est plus. J’écrivais avec des clés et je voudrais maintenant écrire avec un os pointu. Un de ces jours, ça finira bien par devoir s’écrire avec un stylo.

Mais ça a commencé avec des clés. J’ai toujours adoré me cacher. Me déguiser, être quelqu’un d’autre. Inventer autre chose pour être autre chose, mais sans mentir. La métaphore était mon alliée. Profondément. Je veux dire qu’elle était moi. Beaucoup plus moi que les mots, et beaucoup plus vraie qu’eux. Tout ce qui ne trouvait pas son équivalent exact en une suite de signes, trouvait son expression la plus pure dans la métaphore floue. Le vague exposait le secret, mais il le protégeait assez pour qu’il se mue en trésor. A toi, chevalier servant ou noir, qui me lit, qui cherche à me lier, qui crois me connaître, qui a pu me comprendre. A toi qui a lu pour percer les secrets, et pour faire tomber les mirages. C’est pour toi que j’écrivais.

Ce n’était pas un jeu. J’avais besoin de toi. J’avais besoin que tu cherches les clés. J’avais tant besoin que tu fouilles mes mots. Il me fallait ton soutien dans les blancs, dans les espaces vides, dans les altérations que je faisais subir aux événements, pour en faire de la matière littéraire. Littéraire peut-être. J’ai essayé d’écrire et je pensais que pour écrire, il me fallait un vrai sentiment et des tonnes de métaphores. J’ai cru aussi que pour écrire j’avais besoin de toi, qui lit non pas pour lire, mais pour connaître.

Mais je me suis trompée. Je l’ai senti tout à coup. Quand j’ai su un peu mieux parlé, et que parfois dans ma gorge naissaient des mots qui avaient du sens, j’ai compris que je faisais fausse route en écrivant ainsi, avec des clés partout. L’écriture alors est devenu trop sèche, trop courte peut-être, parce que je voulais lentement déshabiller les faits, pour leur donner moins d’évocations, moins d’invocations, moins de mystère. J’ai réalisé que je cherchais à tout te dire sans rien dévoiler. Je voulais prendre des risques sans rien tenter, m’exposer sans être vue. C’était peut-être un peu fou. c’était peut-être complètement con. Mais j’y croyais sincèrement.

Maintenant, je veux écrire avec un os pointu. Personne ne cherche plus la clé, personne n’a plus besoin d’elle. D’abord, il a fallu faire le deuil. Les secrets sous clé, les trésors, les limbes, et les hésitations, tout le monde s’en fout. Et tout le monde a raison. ça n’aurait jamais pu conduire à la poésie, ni à rien d’autre. Les trésors, pour écrire il faut les livrer, les mettre là, à tes pieds.

Avec un os pointu je veux dire ce qui est pour moi.

Chevalier, j’ai encore besoin de toi, mais mes mystères sont à moi. Et ce qui est, est à nous. J’existe à présent. J’écris avec un os pointu.

Et un jour, peut-être, je parviendrais à tenir en main un stylo.

Valériane Des Voiles

illustration: un ciel pointu

La mort
Next Post

Author Valériane Des Voiles

More posts by Valériane Des Voiles

Join the discussion One Comment

  • Sam Lebrave dit :

    Nous donnons, sans cesse. Des clés, des sentiments de toute sorte, du temps, de l’espoir fou. Cependant nous ne sommes pas sûrs et garants de l’utilisation de tous ces vœux, aussi puissants soient-ils. Ce sont des bouteilles à la mer, parfois avec un parchemin, quelques gouttes de sang, et lancé! Tout le temps pour tes mots, une histoire, une partie de toi, des bouts de bois ciselés, un peu de peinture et des traits, un peu de sable ramené des voyages, et sur le rivage déposés. L’océan ne promettra rien cependant, à part des trolls (en en a déjà eu), mais ce n’est pas ce qu’on retient. Je suis sûr que tes textes attiront les bonnes âmes qui t’entourent.