I* Nous nous sommes rencontrés un soir de juillet d’une façon cinématographique.
Non pas un film de cascades ou de zombies, ce qui ne m’aurait du reste posé aucun problème, mais plutôt un film qui parle d’amour, d’amitié, de ce que les humains font de leur temps quand ils se sentent inspirés par la vie. Un film de Woody Allen, Xavier Dolan ou Charlie Chaplin si l’on veut.
En venant à ce pique-nique sur les quais de Bordeaux je savais que rien de banal n’allait se passer. Je l’ai vu et je lui ai lancé ces mots : « toi, c’est Alignement » à la fois affirmative et interrogative, comme prise entre deux états ! Il m’a répondu de sa voix douce un « oui » souriant et franc, ses yeux bien ancrés dans les miens. Moment suspendu… désormais tout allait pouvoir se dérouler, avec les trois milliards de questions qui virevoltent autour de ma tête, et autant de réponses déjà là qui donnent le feu vert pour dérouler le tapis rouge de cette relation à peine germée.
Durant cette soirée d’été au bord de l’eau nos regards se sont croisés à nouveau, et il serait faux de dire que c’était un hasard.
Quand on cherche, on trouve ! Mais que trouve-t-on au juste ? Un reflet de soi ? Un pays inconnu ? Ni l’un ni l’autre ? Les deux en même temps ? La chercheuse en tout que je suis a vu en un éclair un peut-être qui pourrait être.
Nous nous sommes revus à plusieurs reprises, soit en petit groupe, soit en tête à tête, toujours sur le mode amical. Cela a été à chaque fois agréable, joyeux, tranquille, et je dois admettre aussi, bizarrement familier, intrigant et drôle, dans le sens de « weird », comme si cette réalité était virtuelle, un peu comme dans les rêves…
J’aime la présence pleine qu’il dégage, je me sens bien avec lui, j’y trouve une forme de refuge et une impression d’ouverture sur le monde.
Les semaines ont passées, les mois, sans aucune nouvelle de part et d’autre, chacun menant sa propre existence, jusqu’au soir du quatre décembre où une soirée dans un bar nous a de nouveau réunis. C’est une amie à moi, connaissance à lui qui a proposé de nous rejoindre, elle a compris qu’il se tramait quelque chose entre nous et elle a nous offert cette chance que, visiblement, nous étions disposés à prendre.
Danse, vin et cocktails s’enchainaient dans cette nuit d’hiver bien rythmée des sons du DJ qui pulsaient entre les murs du bar. Nos corps se rapprochaient, nos regards se parlaient et la danse nous faisait tourbillonner… Une fois de plus nous étions au-dessus du fleuve, de l’autre côté cette fois, comme un fil conducteur à l’intrigue.
En fin de soirée il a déposé un baiser sur mes lèvres. Je suis remontée en voiture sans vraiment avoir conscience de tout ce qui venait de se dérouler. Le fait est que je me suis sentie bien, le contact m’a énormément plu sans que je ne parvienne à comprendre, mais en fait, peu importe que je comprenne, au contraire.
Pour confirmer cette bonne sensation, nous avons un plan de soirée chez un ami à moi qui fait une braderie. C’est la re-rencontre, c’est un peu bizarre, d’autant qu’il n’y a plus l’effet de l’alcool, de la danse ou même de la surprise, mais il faut en passer par là pour voir, confirmer ou infirmer comme disent les personnes de science. Je suis un bloc sensoriel, j’observe à mort. Il est fidèle à lui-même, doux et plein, je ne m’en plaints ! Cette soirée se déroule à merveille, il y a des discussions, des regards, des verres de rhum et de la douceur. Cette soirée est pleine de promesses.
II* Nous en sommes à un mois de relation. Tout est beau, tout baigne, c’est top moumoute !
Mais, car il y a un « mais » (sinon c’est pas drôle), un évènement a failli tout faire basculer. Je ne m’étendrais pas sur ce qu’est cet évènement, sachez juste qu’il a été un tournant dans cet amour naissant.
La vie est faite de choix. On choisirait même le corps qui va incarner notre âme, de là se font une ribambelle de choix, plus ou moins assumés, plus ou moins revendiqués, plus ou moins inspirés. Lorsque l’on entre en relation intime avec une personne il se passe une multitude de faits, de non dits et d’interprétations, tout se passe entre les inconscients dans un langage secret et bien barré que seuls ceux qui ont fait un très gros travail sur eux savent décrypter. Ils n’ont d’ailleurs plus à décrypter quoi que ce soit car ils entendent ce langage directement. Ils communiquent énergétiquement, comme on dit dans les repas entre amis friands de ce genre de discussion sur l’être et sa complexité.
Où veux-je donc en venir ? Je ne sais pas trop, ce que je peux dire c’est qu’il m’a donné du fil à retordre le chéri, et j’ai dû lui paraitre tout aussi troublée, troublante, fatigante…
Les faux-pas sont faciles à faire, surtout au début d’une relation, et se braquer contre le ou la coupable est une réaction naturelle, automatique. Etre dans la retenue, observer, prendre de la distance, de la hauteur, cela est plus difficile, moins agréable, mais tellement plus puissant sur la durée. Après notre accrochage il y a eu des discussions, mais j’ai toujours gardé à l’esprit de ne pas être mon émotion, comme me l’a sagement recommandé une amie chère.
En faisant ce travail j’ai peu à peu redonné confiance à notre histoire, j’ai focalisé sur le bon côté des choses, sans perdre de vue mes besoins fondamentaux. On a avancé ensemble, et il a fait un grand pas vers moi un jour en prononçant deux mots : « pardon » et « merci » et cela m’a donné énormément de réconfort. Nous parlions la même langue. Je précise que ces deux mots ont été prononcés après tout un week-end où il a voulu rester seul. Je lui ai laissé le temps de revenir à ses bases, j’ai eu confiance, et ça a payé. Mais si au bout de ces quelques jours il ne m’avait pas reparlé, si la relation était finie, ça aurait été accepté car je suis pour que ce soit juste, dans le sens de justesse. Je lui manquais, il m’a appelée, on s’est vus, c’est ce qui était juste.
III* Après quatre mois de relation les (plus) gros dossiers ont été traités, l’envie de construire existe, et elle existe d’autant plus que maintenant nous disposons du « mode d’emploi » de l’autre, pour parler comme ça. On a traversé des situations où il a fallu lâcher du leste, laisser de la place, rester là mais sans étouffer la personne qui a besoin de se retrouver. Il a exprimé son besoin, la demande a été entendue, respectée. J’ai formulé mes inconforts et incompréhensions face à ses agissements, j’ai été entendue, respectée.
Cela peut paraitre classique et banal mais ce que j’expose est, selon mon expérience, la clé d’une belle relation. Je ne me souviens pas avoir vécu cela par le passé. Trop de disputes, de confrontations, de méfiance et de dédain malgré les vrais sentiments ont été fatals à mes anciennes relations amoureuses.
Ceci est mon nouveau départ. J’ai quarante-deux ans, bientôt trois, donc c’est le temps qu’il m’a fallu pour être enfin prête à aimer.
Dans un collier de perles chaque perle est accrochée au fil et touche une autre perle, en file indienne, comme les mots d’une phrase. Les perles sont solidement accrochées au fil mais la chaîne est souple, elle se contorsionne et serpente à loisir, tout en restant une. La relation c’est l’ensemble des perles, chacune indépendante de l’autre, et toutes reliées entre elles par ce fil, comme la liberté de mouvements dans la relation amoureuse.
Amanda