De part en part ce fil attache la mère à sa fille et à la fille de sa fille, comme une chaînette d’or pur dont les maillons seraient faits par les minuscules mains du grand tout, fourmilière où les noires lettres de chaque destin s’affairent, ployant sous la somme des possibles, et faisant un pas de côté lorsque la charge immense qui leur incombe prend le vent -ce qui arrive bientôt. Ainsi tissé le fil, maille à maille, siècle à siècle, atteint l’épaisseur de l’onde à la fin. Comme elle, rien ne le fend. Sa forme fluide laisse tout passer, traverser, souffler. Le fil se contente d’être là. Il est là. Là où sont les vies. Il ne décide de rien, n’étant lui-même que le fruit d’augustes volontés secrètes, qu’aucun mage ne sait traduire ni chanter. Réglant nos marches, il paraît qu’en fin de compte ce fil est liberté.

-« Cache tes fibres brillantes. Si on te voit, tu deviendras le chien qui guide les aveugles, ou qui conduit les bêtes de l’étable à la pâture, et de la pâture au billot. Cache toi, mais laisse l’aube dorée et froide révéler tes points d’attache, et tes ornements de pluie, pour que l’on sache que tu existes, même si tu ne sers à rien. Tu décors et couronnes ces tristes têtes de chair à pâtée, et les transmues en mieux-que-l’or, en grands vibratos et en claires voix. »

C’est à peu près tout ce que je voulais dire de ce fil.

Valériane des Voiles