Voir une exposition de Magritte, c’est accepter d’avance de se faire entuber (et si tu vas la voir à Beaubourg, c’est encore plus fort!).

L’artiste se moque de toi, et de la foi naïve que tu places en ta vision, en ta perception, en ton langage. Tu te croyais civilisé, tu te croyais malin, tu te pensais fort…mais tu n’est rien de tout cela. Tu tombes dans chacune des mises en abîme de Magritte. Non, vraiment, tu te fais entuber.

Mais c’était la seule façon de te faire comprendre la force et la fragilité des mots et des images.

Chacun d’eux n’est qu’une convention, mais, -nom d’une pipe!-, ce que c’est violent une convention! Il fallait tomber dans le piège du titre du tableau. Il fallait voir des œuvres en trompe-l’esprit pour comprendre, ou au moins pour sentir, car pour comprendre il faut des pensées faites de mots, et tu ne leur fais plus confiance, cette puissance sans appel du mot et de l’image. Et d’ailleurs, en présentant Magritte comme l’artisan de « la trahison des images », on occulte peut-être un peu le sens du rapport de l’image et du mot. Dans l’équation Magritte, l’image est un mot, puisque le mot est une image.

La trahison, c’est le concept! C’est l’idée, cette péronnelle, qui nous fait dérailler! Les images mentent, et elles le font bien, puisque le spectateur, du fond de sa grotte, peut prendre un tableau de paysage pour le paysage. Les images nous trahissent, c’est bien vrai, puisque devant ce tableau d’un homme qui regarde un tableau, je me demande si je ne fais pas moi-même partie d’un tableau. Et puisque devant le tableau d’un homme qui peint un tableau, je vois bien qu’en ne peignant pas ce qu’il voit, il peint mieux la vérité. Mais le mot n’est pas un traître moins habile. Le gredin de mot se présente comme le détenteur du savoir, comme celui qui dit ce qu’il est, comme celui qui renferme des éclats de réel et d’actuel, comme le média obligatoire de tout ce qui se communique de toi à moi et retour! Ah! mot-à-mot, pourtant, tu ne traduis jamais ce qui advient. Et pour transmettre ça, Magritte peint les rideaux d’un théâtre, derrière lesquels existent les nuages, ou l’image de nuages…De quoi rêver pour toute une vie, voilà le cadeau de Magritte pour l’humanité curieuse.

Et encore! Il aurait pu s’arrêter là, nous laisser dans le silence et le noir, à ne plus croire en rien, après avoir détruit le verbe et la lumière. Il aurait pu. Mais Magritte le généreux a laissé les clés du mystère…un peu partout, la clé ou la solution traîne dans ses œuvres, offerte à qui la veut, à qui la voit. De plus près, sur la face de la clé qui n’est pas dans le tableau, on pourrait lire ceci: L’image nous ment, les mots nous narguent, mais moi, Magritte, je dis vrai quand je les mêle ensemble. « Ceci n’est pas un mensonge », proclamerait la clé…

D’un mensonge, toujours, naît une vérité.

A toi, grognon désespéré, menteur obligé, penseur désabusé et littérateur pour la forme, j’offre la clé de Magritte, qui vaudra bien celle de ta grotte.

Valériane Des Voiles

illustration: La Clairvoyance, 1936, Huile sur toile.

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  • Romain dit :

    Ceci n’est pas un commentaire.



    Bon! Ok, elle était facile.

    Magritte est aussi un artiste que j’apprécie particulièrement.
    A la fois, en jouant avec l’image et la représentation, il fait des noeuds au cerveau, mais il insuffle aussi une certaine sérénité à son oeuvre. La limpidité de son trait, sa palette de couleurs tirant sur le bleu, cet équilibre de l’image, cette impression de liberté… C’est reposant un Magritte. On est loin de l’image de l’artiste torturé. J’ai parfois l’impression lorsque je me perds dans ses peintures que ce sont des livres pour enfants, un dialogue permanent avec mon imaginaire et mon petit jardin intérieur.
    Comme c’est bon de se perdre parfois, de se laisser aller à penser à autre chose!