Elle passe. Lentement, le vent léger comme un souffle, la précède. L’annonce. Des pas lourds dans le sable, d’hommes et de bêtes, se succèdent apparemment sans fin. On recommence. Le même pied, le même chemin, la même chaleur. On sue. On se fatigue. Et puis l’air de rien les traces s’effacent, et puis elle passe. D’ailleurs, on ne l’a pas entendu.
La caravane passe. Rien ne l’annonce. Les dunes comme des jours et des nuits à l’infini. Pas de frontières visibles, pas d’obstacles, aucune tâche sur le ciel pâle ni sur l’ocre du désert. Rien. Apparemment. Mes pas s’égrènent. Que fallait-il que je comprenne? Rien. Apparemment. Avancer seulement. Sur les routes que les autres ont taillé, il faut marcher. Dans les plis de la terre qui est molle comme une mer, sur les crêtes miniatures, au sommet de rien, prière de passer, de circuler, ou de danser. On ne sait plus d’où est-ce qu’elle vient, ni quand, au juste, elle prit son essor. On sait très bien qu’elle touchera au but.
Ses lignes, souvent, sont belles et pures. A la voir avancer sous les étoiles, sur les dunes devenues bleues, avec ses turbans tout gonflés de vent, on pourrait la prendre pour un navire. de ceux qui découvrent des mondes. De ceux qui réinventent tout. Qui fendent ce monde pour chercher sous les flots quelque chose de mieux. Et quand on la regarde aussi dans les brumes vagues d’un matin brûlant, ses mouvements au ralenti, la font passer pour une troupe des danseuses-serpent. A l’aube ou au crépuscule, théâtre d’ombre, elle révèle sa vraie nature teintée de mascarade. Comme si on l’avait déjà vue, quand elle passe, on dirait qu’elle n’avance pas.
Elle passe, avec ou sans vous. Acteurs ou spectateurs, vous passez. Vous avancez, puisqu’il le faut. Et moi je ne rêve que de vous retenir. Chaque grain de sable, chaque morceau de vent, chaque tranche de vie, chacun, chacune. Retenir ce qui coule entre mes doigts, là où la paume dessine un creux, et même en refermant mes deux mains comme pour transporter un oiseau fragile. Retenir la vie. Retenir ce moment. Retenir l’amour. Retenir le temps. Retenir ce souffle. Retenir ce regard; la douceur; la lenteur.
Reste un peu là. C’est une prière pour la caravane. Peut-être qu’elle ne passe pas, mais qu’elle s’enfuit. Elle va au paradis.
Valériane Des Voiles