Sur l’herbe brillante et toute parsemée de pluie d’une soirée de printemps, Aline avance.
Avec chacun de ses pas, elle emporte quelques gouttes scintillantes, et dénude la prairie de ses étoiles argentées. Elle marche vite, et sent sur son visage les embruns doux de la forêt. Le ciel semble lavé par les ondées du jour, comme les yeux d’Aline. Ils sont presque redevenus neufs. Un peu rougis, le ciel et les yeux, mais limpides au fond.
Aline voit clair, et ses pas, qui dessinent sur la terre des motifs verts sur un tapis d’eau, sont comme l’écriture de cette clarté. Elle se dirige vers le bois, qui au loin se découpe en noir sur l’oranger fondu de gris du ciel bientôt crépusculaire. Aline voudrait fuir, et elle sait bien qu’il n’existe nulle part de fuite plus sublime que celle qui conduit au fond d’une forêt. Comme un appel, qui donne à son corps souple une volonté nouvelle, cette étendue qui se déploie devant elle lui prête des ailes pointues. Aline est un mouvement. Elle n’existe qu’un instant dans le geste rapide de ses jambes et de ses bras, qui ensemble sont un élan.
Cette fois-ci elle est certaine d’avoir atteint ses limites. Elle veut mourir et elle sait que c’est vers son destin qu’elle vole. La prairie entière est devenue une aile découpée, immense et puissante. Dans son dos, Aline sent que la brise s’intensifie, et s’ordonne à sa seule volonté d’avancer vite. Elle n’avait finalement jamais cessé de parcourir l’espace, de le traverser, et d’être par lui traversée.
Qu’aurait bien pu faire Aline d’un traité de physique ? Elle n’en avait jamais lu, parce qu’elle devinait bien que la forme que pouvait avoir la terre n’était d’aucune importance. La naissance de la galaxie, de l’univers entier même, ne pouvait qu’être l’un des événements auxquels elle avait assistée par mégarde. Sous ses pieds, la terre était une plaine ; devant ses yeux, elle était une forêt ; derrière elle, elle était un vent maintenant puissant. C’est bien là tout ce qu’Aline savait. Mais elle le savait avec force.
Elle ne pensait plus. Elle haletait et sentait dans son corps entier battre son cœur avec empressement, car tout en elle voulait en finir vite.
Dans la douleur et dans l’extase mêlée de la beauté de son mouvement, et de l’herbe mouillée, et des bois sombres, Aline sentit son corps exploser. C’est la mort ? Non. C’est la vie, et c’est tout.
(à recommencer!)
Valériane Des Voiles