Devant l’âtre vivant d’une aube hivernale, Aline repose.

Le feu du soleil de ce début du mois de mars, tout juste éveillé, semble avoir communiqué sa force renaissante aux flammes de la cheminée. La lumière délicate et orangée qu’elles projettent coule sur le visage d’Aline, et l’anime étrangement. Les yeux d’Aline sont clos, et pourtant son visage danse, comme si elle pensait intensément aux mouvements de ce feu qu’elle ne peut pas voir. Sa chevelure vaporeuse s’enflamme aussi, comme une couronne de sainte. Sous ses paupières fermées, Aline sent la lutte que se livrent la chaleur un peu vive de la cheminée, et la froideur claire de la pièce. Elle la sent mieux qu’elle ne pourrait la regarder en vérité. Sa peau n’est-elle pas le terrain de jeu de ces deux puissances ?

Aline est heureuse. La journée sera belle comme l’éclat d’un soleil d’hiver. Elle est d’autant plus belle encore qu’elle offre à Aline le loisir de rester étendue là, près de son feu, dans une pièce fraîche et solitaire. Ce qu’elle lui offre, en vérité, c’est un moment vide et infini.

Il faudra bien mourir, et cela sera facile car Aline n’a rien à abandonner. Elle a déjà vécu, mille vies peut-être, mais peut-être moins, car elle n’a jamais tenu de comptes. Elle a traversé chacune d’entre elles avec sur sa peau nue la seule impression d’être là. Elle pourrait mourir. Sans regrets.
Et si elle refusait aujourd’hui d’ouvrir les yeux ? Sous ces flammes qu’elle sent si bien, dans ce froid si léger qui n’apparaît que comme une autre façon de brûlure, il serait si simple de s’abandonner. Elle n’aurait qu’à laisser toute la place à ce combat de deux températures. Elle serait toute entière ce combat. Aline se trouverait alors absolument en dehors du temps. Il lui semble d’ailleurs dès maintenant que pour toujours le soleil brillera dehors sans rien réchauffer, et que pour toujours une flamme intérieure léchera les contours de sa peau sans rien en gagner.

Si elle connaissait un peu de mythologie, elle verrait sa mort comme un Ragnarök, ou si elle croyait en Dieu, comme une apocalypse privée. Mais Aline n’aimait pas les métaphores, et elle était certaine que sa mort ne serait que sa mort.

Dans sa petite pièce, le temps s’était arrêté, pour permettre à ses yeux de restés à jamais fermés. C’est la mort ? Non. Ce n’est rien.

(à suivre!)

Valériane Des Voiles